de Václav Havel
Mise en scène
Nikson Pitaqaj
Traduction
Milan Kepel
Avec
Henri Vatin
Lina Cespedes
Yan Brailowsky
Zachary Lebourg
Anne-Sophie Pathé
Nikson Pitaqaj
Marc Enche
Frédéric Slama
Présentation du CYCLE VÁCLAV HAVEL: cliquer ici
Résumé
Josef Gross, directeur scrupuleux d’un obscur service, est le témoin impuissant de l’invasion de son administration par une langue nouvelle, le pydétypède, qui croît et prospère dans les bureaux sans que nul ne la contrôle. Pis, il est l’objet d’un rapport dont il ignore la teneur, faute de connaître cette langue. Effaré, entre contestation et résignation, Gross constate que son administration a plongé dans une spirale vicieuse au sein de laquelle l’obtention de chaque document est soumise à la possession d’un autre document qu’on ne peut obtenir sans le fameux document initialement demandé. Les
nombreuses cocasseries bureaucratiques laissent voir les rouages d’une monstrueuse machine, broyeuse d’humanité. En réalité, le rapport dont Gross fait l’objet nous concerne tous, de quel rapport sommes-nous l’objet ?
Présentation
On retrouve l’alliance chère à Václav Havel entre la gravité des enjeux humains et l’omniprésence des turpitudes, entre l’inhumanité la plus flagrante et l’humanité la plus simple et organique, souvent réduite à un estomac et à un gosier, à une coquetterie dérisoire, à des cigarettes et des cigares, symboles du plaisir de l’autorité.
On retrouve les motifs du jeu des répétitions et des échos déformés donnant une impression de tourbillon infernal et infini, à une cadence infernale et d’une épouvantable drôlerie. Les cours de langue assurés par Périna montrent comment l’enthousiasme le plus sincère peut se conjuguer à une naïveté touchante mais impitoyable.
Encore une fois, Václav Havel, par son humour savoureux, ne juge pas ces personnages. Ils sont pris aux pièges qu’ils se fabriquent en toute bonne foi, au soleil d’un monde sans queue ni tête.
Le thème du personnage et de son double est totalement exacerbé. Balas et son acolyte silencieux, Kubch, évoquent immédiatement le double formé par les Lada ou les deux individus (Largo Desolato). Mais Havel brode ce thème avec des couleurs plus vives encore : l’administration et son corollaire bureaucratique se muent en machines à broyer les individus et leur personnalité, fabriquant à chacun un double monstrueux, tout aussi lâche et touchant que son modèle, tantôt plus fort, tantôt plus faible. Havel montre, avec la précision de l’horloger, les mécanismes d’une administration qui rend les hommes et les langues interchangeables, comme de simples rouages.
Note de mise en scène
« Notre équipe a eu un véritable coup de coeur pour Václav Havel, ça n’est pas pour rien que c’est la cinquième pièce de lui que nous montons ! J’apprécie toujours que l’homme de théâtre et homme politique ne dissocie jamais ces deux thématiques dans ses pièces. Au cours de l’avancement de notre travail, nous apprécions, à chacune des répétitions de cette pièce de Václav Havel, l’écho que nous y trouvons ensemble de l’actualité. Les discours que l’on entend autour de nous, les informations qui nous assaillent
de toutes parts, l’actualité, formelle et informelle, enrichissent sans cesse notre lecture du Rapport dont vous êtes l’Objet. Cette satire de la bureaucratie communiste tchécoslovaque n’est pas ancrée dans la Tchécoslovaquie des années 1960, elle nous est familière. Nous avons tous été déjà confrontés, dans notre quotidien, à l’inhumanité inaccessible de la machine administrative, à ses luttes intrinsèques qui font passer l’intérêt commun au second plan, à son absurdité, à cette spirale vicieuse au sein de laquelle l’obtention de chaque document est soumise à la possession d’un autre document qu’on ne peut obtenir sans le fameux document initialement
demandé !
L’administration est un grand corps malade au sein de laquelle les personnes sont interchangeables et où chacune a sa propre déficience. Nous avons choisi de faire de ses têtes pensantes des handicapés (une personne à mobilité réduite, un aveugle et un muet). Leur handicap symbolise la déficience de leur pouvoir de décision dans une structure qui les mutile et dont ils sont les
jouets. Paradoxalement, cette autorité lacunaire engendre une soif insensée de pouvoir qui les pousse à la surenchère de l’absurde.
Les cours de Périna, professeur de pydétypède ou de choruktor, sont des diversions dans le déroulé de l’histoire. Ils sont assurés par un personnage qui a la force de conviction des plus grands conférenciers. Au fur et à mesure des interventions, leur ampleur croît, jusqu’à devenir à un véritable prêche moderne. La moindre de ses paroles est simultanément traduite en langue des signes et Périna, devenue prescripteur d’une bonne marche du monde, est protégée par un staff de sécurité de plus en plus conséquent.
Toutefois, Havel, par son humour savoureux, ne juge pas ces personnages pris aux pièges qu’ils se fabriquent en toute bonne foi, au soleil d’un monde sans queue ni tête.
Aucun espace n’est à proprement parler clos. En effet, les murs ont des oreilles et l’on n’est jamais véritablement seul. Gross parle sans deviner la présence de Balas et Kubch dans son dos, on entend les festivités des pots d’anniversaire organisés par Hélène, l’espion est tantôt oublié tantôt pris à parti. L’interchangeabilité des personnalités se retrouve dans la perméabilité des différents lieux. Bien que Le rapport dont vous êtes l’objet témoigne d’un certain pessimisme, son ton doit être celui d’une comédie, jouée avec la légèreté, la distance et la bonne humeur que l’on reconnaît en filigrane dans les différentes pièces de Václav Havel. Si ces personnages ont perdu une part de leur humanité, ils ne doivent en aucun cas être robotisés, mais, au contraire plein de vie. Nous nous reconnaissons, nous rions, et c’est seulement par la suite que nous ne nous avisons du caractère tragique du reflet tendu par ce miroir délirant. »
Nikson Pitaqaj