Critique parue dans La Terrasse, le 26 juin 2013, n° 211, numéro spécial Avignon 2013.
Nikson Pitaqaj met en scène trois pièces écrites entre 1975 et 1978 par Václav Havel, alors dissident politique. On y suit les aventures de Ferdinand, sorte de Candide au pays des soviets…
Ferdinand Vanek, double imaginaire de Václav Havel, est dramaturge. Pour survivre en un pays où la littérature ne nourrit son homme que s’il a mis sa plume au service du régime, Ferdinand, qui déteste la bière, travaille dans une brasserie. Dans Audience, il rencontre son chefaillon, ivrogne imbécile et veule, qui lui propose d’écrire lui-même les rapports à adresser au pouvoir qui le surveille. Dans Pétition, il rencontre Stanek, artiste intégré au système, qui lui demande de rédiger pour lui la pétition destinée à la libération du chansonnier Javurek, afin de ne pas se compromettre aux yeux du gouvernement. Dans Vernissage, le malheureux Ferdinand doit supporter la leçon de bonheur de ses amis, qui l’ont invité pour lui expliquer comment jouir du meilleur en fermant les yeux sur le pire…
L’insoutenable drôlerie de l’être
Dans une veine qui emprunte sa noirceur à Kafka et son humour au théâtre de l’absurde, Václav Havel croque ses personnages avec une efficacité vipérine qui sait se mâtiner de tendresse, comme si les méchants étaient d’abord et avant tout des victimes. Lâcheté, soumission, compromis, trahison : les collabos de tout poil entourent un Ferdinand candide et éberlué, pantin pitoyable broyé par la machine ignoble d’un pouvoir qui a gangrené toute la société. Nikson Pitaqaj met en scène ces trois variations autour des affres de la dissidence avec les mêmes comédiens, qui incarnent tous les personnages de cette triple farce tragique. Sur un plateau nu et par un jeu qui flirte plaisamment avec les excès de la caricature, la troupe de la compagnie Libre d’Esprit sert avec habileté et drôlerie ces textes caustiques à l’implacable lucidité et à l’insoutenable légèreté.
Catherine Robert