Entretien paru le 2 juillet 2015 sur le site de Radio Praha.
Du 3 au 26 juillet, dans le cadre du festival Off d’Avignon, est présenté un cycle Václav Havel avec quatre pièces de théâtre du dramaturge et ancien président tchèque. Tous les jours, les festivaliers auront l’occasion de découvrir une des pièces mises en scène par Nikson Pitaqaj, de la compagnie Libre d’Esprit. Au micro de Radio Prague, il est revenu sur la genèse de ce cycle Václav Havel.
Écouter l’entretien:
« Le Cycle Václav Havel est né il y a longtemps. Cela fait cinq ans qu’on est dessus. On a commencé par Audience. D’ailleurs ce n’était pas tout-à-fait un projet au début, plutôt une lecture. On était tellement sous le choc de l’écriture de Václav Havel qu’on a continué jusqu’à aujourd’hui. C’est un projet qui nous a pris et qui ne nous lâche plus. »
Vous présentez quatre pièces de Václav Havel : Audience, Vernissage, Pétition et Largo Desolato. Vaclav Havel est l’auteur de nombreuses pièces de théâtre, pourquoi avoir choisi celles-là en particulier ?
« Au début, comme je l’ai dit, ce n’était pas vraiment un projet. On était deux comédiens pour Audience. Les autres comédiens de la troupe étaient sous le charme, ils voulaient tous jouer Havel. Du coup, ils me harcelaient pour monter d’autres pièces ! On a commencé d’abord par les trois pièces en un seul acte. Ensuite, on s’est attaqué à Largo Desolato, où il y a plusieurs comédiens sur scène. Ces pièces ont été déjà présentées par le passé au festival d’Avignon. On a joué un peu partout dans toute la France. Mais cette année on a décidé de ramener les quatre pièces. Notre envie, c’est de plonger les spectateurs dans l’univers de Václav Havel. »
Vous parliez de choc et du fait que vos comédiens ont été charmés par l’écriture de Havel. Pourriez-vous nous décrire plus en détails ce qui vous a séduit dans l’écriture de Václav Havel ?
« Pour ma part, j’ai des liens très forts avec Václav Havel. Moi-même je suis originaire d’ex-Yougoslavie, plus précisément du Kosovo. Il se trouve que le hasard de la vie a fait, qu’à quelques jours près, mon grand-père a fait presque le même temps de prison que Václav Havel. Il y a plein de petites anecdotes comme cela. Il y a un lien très fort pour moi, au point où j’ai l’impression que c’est quelqu’un de ma famille… Je passe mon temps avec lui. Ensuite, par rapport à l’écriture. Ce qui est choquant et terrorisant dans son écriture, c’est qu’il utilise très peu de mots qui disent beaucoup. Au début, c’était difficile à transmettre à mes « amis français » qui aiment bien les « belles phrases » ! En travaillant, ils se sont rendus compte qu’on a peu besoin de mots. L’écriture de Václav Havel est à l’image de ce que nous avons vécu tous dans les pays de l’ex-bloc soviétique. On ne pouvait pas parler beaucoup, il fallait faire attention à tout ce qu’on disait. Václav Havel décrit cela. C’est en cela que c’est terrorisant pour les comédiens mais aussi pour les gens qui viennent voir les pièces. A chaque fois, ils remarquent combien il y a de choses derrière ce qui n’est pas dit. »
Ses pièces sont évidemment empreintes de son expérience sous le régime communiste. Est-ce que son message, ses écrits, sont encore valable aujourd’hui ? Est-ce qu’ils ont une valeur universelle selon vous ?
« J’ai vécu des choses similaires quand je suis arrivé en France. A l’époque, l’ex-Yougoslavie avait éclaté, j’ai été obligé de partir rapidement. J’ai dû travailler dans une usine à Paris. J’ai vécu pratiquement que ce qu’on voit dans la pièce Audience, et en France ! Par la suite, ces derniers temps, il y a eu beaucoup de suicides dans différentes usines et entreprises françaises. Le public français qui voit ces pièces me dit : « C’est terrifiant, Havel nous parle de là-bas, de ce qu’on voyait de loin il y a trente ans de cela ; on vous a regardé avec de grands yeux, en se disant que ce qu’on vivait à l’Est, sous surveillance, c’était terrible. » Aujourd’hui, ces mêmes personnes se disent que c’est ce qu’elles vivent, que c’est la même chose, mais avec un autre système, avec le système démocratique. Aujourd’hui, on est arrivé à des pratiques similaires… »