Une production Motra.
Une multitude de personnages jetés dans la ville sont confrontés à des situations qui les font basculer dans la crise. Rien ne semble les réunir si ce n’est la peur de l’abandon, qu’ils assimilent à la perte de travail, celui-ci leur semblant la seule valeur d’existence possible… Une rencontre toute en musique et en légèreté carnassière avec ces héros du quotidien sacrifiés sur l’autel d’une société où c’est le travail qui régit la vie.
Débrayage de Rémi De Vos – version 2
Avec Lina Cespedes, Henri Vatin, Anne-Sophie Pathé, Mirjana Kapor, Christopher Mampouya, Naïma Gheribi, Léonard Cavadini
Création musique originale Léonard Cavadini
Mise en scène Nikson Pitaqaj
Intention de mise en scène
Les personnages, souvent désignés par l’auteur sous de simples lettres, sont « débrayés » du moteur social. Ils sont interchangeables, d’ailleurs on imagine bien les victimes à leur tour bourreaux. Comme Václav Havel, dont nous avons monté cinq pièces, Rémi De Vos se préserve de tout manichéisme. Il ne juge pas. Chacun fait ce qu’il peut, malmené par les rouages impitoyables du travail. Victimes et bourreaux sont pareillement déshumanisés et aucun de ces deux sorts n’est source d’épanouissement.
Les personnages sont tous en situation d’exclusion. Ne parvenant pas à exister dans leur entreprise, dans leur couple, dans leur humanité propre, ils sont les jouets de la peur et de l’abandon. Les situations banales sont poussées à l’extrême. De l’entretien d’embauche à la lettre de licenciement, avec ou sans harcèlement moral et sexuel, les humiliations, vexations, quêtes de pouvoir et terrorisme ordinaire sont traités par le ressort désarçonnant de l’humour…
L’humour et la légèreté sont fondamentales pour traiter ces sujets qui sont cruellement d’actualité. Le manque de travail, sa précarité, ses contrats ou accords improbables, ses intérims successifs et la difficulté à s’investir et s’inscrire durablement dans un monde de burn out et de turnover ont pris une ampleur plus grande encore depuis la crise sanitaire. L’absurde permet de prendre de la hauteur face à une réalité qui nous fait perdre nos repères jusqu’à notre dignité et alerte notre vigilance mieux que de longs discours. Les personnages de Débrayage sont pleins de vie. Il est essentiel qu’elle déborde de leur épuisement physique et moral. Le travail peut broyer les âmes, mais il peut aussi les révéler. Comme l’écriture de Rémi De Vos, il ne s’agit pas de tomber dans le manichéisme…
La musique permet également d’exprimer le caractère inéluctable des situations. Elle est présente en continu, tout au long de la pièce, à l’image de la chute vertigineuse dans laquelle sont précipités les personnages. La compagnie travaille toutes ses créations en musique, avec un investissement physique total, sur un plateau nu, pour toucher à l’universel et l’intemporel de ce qui n’est pas dit par les mots. La compagnie et le musicien Léonard Cavadini s’accordent sur un processus d’écriture au plateau qui s’appuie sur l’improvisation et privilégie ce qui jaillit de la scène à toute autre idée préconçue. C’est un des fondamentaux de notre travail d’être dans l’instant présent et que le spectacle vivant se nourrisse de tout ce qui se passe « ici et maintenant » afin que chaque représentation soit unique. Léonard Cavadini, qui joue la musique en live lors du spectacle, avec les autres artistes de la compagnie, est aussi comédien de la pièce. Les espaces se brouillent, le « quatrième mur » tombe permettant au public de s’identifier aux situations et trajectoires des personnages qui sont universelles. Cet enchevêtrement propose une lecture singulière de la pièce Débrayage ouvrant à une appréhension complète de la question du travail : source de vie ou du mort.