Critique de Margot Delarue parue dans L’envolée culturelle le 23 août 2016.
Le théâtre des 3 Soleils proposait à Avignon un vaste programme pour le Off du festival d’Avignon 2016. Parmi les pièces proposées, on pouvait voir Knock, ou le triomphe de la médecine, une pièce écrite par Jules Romains et présentée pour la première fois au théâtre à Paris en 1923. Cette année, elle était montée par la compagnie Libre d’Esprit, une troupe qui se revendique populaire et qui laisse libre cours au jeu des acteurs.
Quand la médecine frappe
Knock, c’est l’histoire d’une idée folle, d’une ambition démesurée. Dans le bourg de Saint-Maurice, le Docteur Parpalaid s’apprête à vendre son cabinet ainsi que sa clientèle pour partir s’installer ailleurs. Les patients ne sont pas foule ici, et le Docteur pense pouvoir faire son beurre en revendant son cabinet à un autre : ici monsieur Knock. Cependant monsieur Knock cache bien son jeu et au contraire, ce cabinet vide de patients devient très attrayant. Peut-être pas médecin, mais bien familier du « style médical », il voit dans ce cabinet une sorte de défi à relever, des plus excitants.
« La vérité, c’est que nous manquons tous d’audace, que personne, pas même moi, n’osera aller jusqu’au bout et mettre toute une population au lit, pour voir, pour voir ! »
Monsieur Knock, qui ne souhaite désormais plus que se faire appeler par le titre de « Docteur », réussi petit à petit à plonger le bourg de Saint-Maurice dans une hypocondrie soudaine.
« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent »
Grâce à sa célèbre formule digne des meilleurs spots publicitaires, le Docteur Knock montre une intelligence redoutable et un esprit malin, manipulant les esprits et comprenant les puissants effets persuasifs des masses.
Knock, un brillant stratège et un homme passionné
Cette pièce du début du XXe siècle, s’inscrit tout à fait dans la lignée des grandes caricatures médicales comme les célèbres pièces de Molière Le médecin malgré lui ou encore Le malade imaginaire. Knock est une pièce bien maline et qui joue de tous les clichés qui nous sont connus. Tout d’abord il y a le cliché du jargon médical que l’on ne comprend pas et qui peut facilement camoufler un imposteur bien culoté, mais également celui des patients crédules qui se laissent vite avoir par des phrases bien tournées ponctuées de noms de scientifiques célèbres et qui sont des arguments d’autorité indubitables. Monsieur Knock n’est pas véritablement médecin. En réalité, on ne sait même pas s’il a obtenu son diplôme mais en revanche, il connaît le « style médical » par cœur. Il connaît les notices, mais aussi les attitudes d’un médecin et parodie allégrement les auscultations.
« Depuis mon enfance, j’ai toujours lu avec passion les annonces médicales et pharmaceutiques des journaux, ainsi que les prospectus intitulés « mode d’emploi ». Dès l’âge de neuf ans, je savais par cœur des tirades entières sur l’exonération imparfaite du constipé. Ces textes m’ont rendu familier de bonne heure avec le style de la profession… » (Acte 1)
À ces connaissances, Monsieur Knock ajoute son savoir en termes d’entreprenariat, puisqu’il a lui-même été vendeur. Enfin, Knock est un excellent publiciste qui utilise des phrases courtes et bien tournées. Tout est dans l’apparence : metteur en scène et comédien, c’est un grand escroc qui devient d’ailleurs plus effrayant que réellement drôle. Et si derrière la comédie se cachait une réelle tragédie ?
Un univers gothique : de Nosferatu à Knock
La mise en scène de la compagnie Libre d’Esprit épouse très bien ce côté effrayant, avec une référence évidente au monde des ténèbres et ses créatures fantastiques. Ici les comédiens sont peu à peu vampirisés par le Docteur Knock et sa philosophie publicitaire de la médecine. Il est comme un savant fou, un gourou persuadé de sa mission et qui entraine avec lui le reste des habitants du bourg qui se comportent comme lui et ne jurent plus que par ses mots. Nikson Pitaqaj choisit délibérément un univers froid, avec peu de décors, peut-être pour traduire un espace impersonnel, rempli de personnes vite dépossédées de leur caractère ou de leur esprit critique. Le bourg semble vide comme un gigantesque hôpital où finiront tragiquement tous les habitants. Cette pièce nous renvoie à nos peurs ancestrales relatives à notre santé, déjà présentes au Moyen-Âge, celles qui nous amènent à avoir des comportements aussi forts et inconditionnels à la fois. D’un côté nous nous méfions fortement de quiconque tente de nous soigner par peur de nous faire piéger, et en même temps, notre angoisse est si puissante que nous serions prêts à croire n’importe qui religieusement, si cela peut nous garantir la santé. Que l’on se soit tourné vers la religion à l’époque, ou bien vers la science aujourd’hui, Knock nous met en garde contre des comportements fanatiques et idéologiques.
Margot Delarue