Critique de Fabio Raffo parue dans Action Parallèle le 13 juillet 2017.
Nous arrivons à Pétition un peu par hasard. Personnellement je ne connaissais Vaclav Havel que de nom, j’avoue que je ne savais même pas qu’il avait été président de la République Tchèque. Comme il arrive souvent au Festival Off à Avignon, nous avons prévu un programme qui change à la dernière minute. Je n’avais donc pas de grosses attentes par rapport à ce spectacle, à ce texte, qui ont été pour moi une découverte enthousiasmante, un coup de foudre qui me surprend. Avec mes amis nous revenons le jour suivant pour voir Audience, mais j’ai trouvé le texte un peu moins fort que Pétition.
La compagnie Libre d’Esprit réalise un volet de deux textes qui semblent constitués en vrai dialogue. Un même personnage, Ferdinand, apparait dans les deux textes, incarnant le caractère de l’intellectuel en contraste avec le régime socialiste opprimant. Dans les deux cas un trouve un dialogue entre Ferdinand et un personnage qui au contraire a appris à faire taire sa conscience et à occuper une situation socialement paisible. Les deux acteurs échangent leur rôle, et cela ajoute une continuité à ce diptyque sur le pouvoir et le rôle de l’artiste. Le travail de la compagnie souligne avec force et précision le texte d’Havel, en valorisant les silences qui révèlent ce qui ne peut pas être dit au regard de la situation politique, ce qui se cache derrière deux conversations aux apparences très superficielles. Les silences révèlent aussi les crises de conscience de deux personnages compromis avec le régime et la situation compliquée de l’artiste. La mise en scène, très sobre, se focalise surtout sur le travail des deux acteurs et sur la valorisation de la dramaturgie de l’écrivain tchèque.
Un sentiment de malaise est présent surtout dans Pétition. Le public comprend assez vite que Ferdinand a été invité par son hôte, Stanek, dans un but précis, et que celui-ci essaye de le détendre, de le faire parler et boire, pour obtenir quelque chose de lui. Une fois que l’enjeu est clair, c’est toujours Stanek qui prend la parole, pour essayer de faire taire sa conscience et faire comprendre combien sa situation est délicate. On trouve là une attention de Havel pour Stanek qui a réussi à trouve un équilibre entre sa conscience et l’oppression du régime, et un peu moindre pour Ferdinand, l’artiste qui n’a pas voulu se compromettre. Personnellement j’ai trouvé presque dommage que Ferdinand n’ait pas la possibilité d’expliquer ses raisons, que seulement le point de vue de Stanek soit exprimé, même si souvent les silences de Ferindand sont très éloquents. En tout cas, la dramaturgie de Havel restitue avec justesse impressionnante l’atmosphère d’oppression du régime communiste, et le travail des acteurs est un très bel hommage au texte de l’écrivain.
Dans Audience on retrouve pratiquement la même situation, mais on a l’impression que le texte tourne plus en rond. Une dynamique de répétition s’instaure dans les phrases, soulignée par les gestes de deux acteurs, ce qui peut faire sourire au début, puis produire un sentiment malaise, puis juste produire une sorte de désorientation, car le but du propriétaire de la brasserie reste obscur jusqu’à la toute fin. Comme dans Pétition, le patron veut faire boire Ferdinand pour le mettre à son aise, mais toutes les fois qu’il sort, Ferdinand vide son verre dans celui de son patron. Encore une fois c’est surtout ce dernier qui exprime ses raisons, la nécessite qui a de se compromettre avec le régime pour faire vivre sa petite entreprise. Si ce texte semble moins fort que Pétition, le fait le voir à la suite de celui-là conduit à comprendre mieux certains mécanismes dramaturgiques présents chez Havel. Le physique et le caractère des acteurs, qui changent de rôle, s’adaptent étonnamment bien dans une situation opposée à celle de Pétition. Le travail sur le texte est encore une fois méticuleux, même s’il faut souligner que la fin aurait dû être mise en valeur par une pause plus évidente.
Je suis reparti d’Avignon enthousiasmé par cette découverte et avec la conviction d’avoir été très chanceux par rapport aux choix faits un peu à la dernière minute dans le très vaste programme du Festival Off.
Fabio Raffo, vu au Théâtre les 3 soleils, Festival Off Avignon, le 8 et 9 juillet 2017.