Critique d’Arnaud de Montjoye dans Témoignage chrétien, parue le 15 juillet 2014.
Paumés dissidents
Largo desolato
De Václav Havel
Comme pour clore (temporairement) le travail accompli autour de l’œuvre de Václav Havel, la compagnie Libre d’esprit met en scène une quatrième pièce de l’auteur.
Un homme en robe de chambre dans une pièce impersonnelle rengaîne sur un harmonica. Image pathétique du Dissident (probable alter ego de Havel), qui attend qu’ « ils » viennent le chercher.
Prof de philo sur le banc de touche, claquemuré dans une pièce d’appartement, close, on supposera étouffante, les fenêtres sont bouclées, la porte fermée. Seuls quelques personnes entrent… Un couple d’amis ou de camarades, allez savoir, familiers jusqu’à l’insulte, complices jusqu’à la nausée ; sa fiancée et ex-étudiante, amoureuse jusqu’à la haine ; ses disciples ouvriers, indignés jusqu’au mépris…
Le Dissident est bien le plus magnifique des Paumés : à la fois boussole métaphorique, carte psycho-politique, atlas sentimental, ravin d’épanchements.
Et on finit par se demander lequel a découvert l’autre, des bourreaux et de la victime tant les dialectiques d’Havel sont nuancées… Et la mise en scène, la façon qu’ont les comédiens de se mouvoir (de nous émouvoir aussi entre auto-apitoiement et conscience inquiète) ne font que renforcer un propos singulier à des lieues et des lieues de tout manichéisme, forçant peu à peu le spectateur à endosser chaque rôle et donc à s’interroger sur la valeur même du pouvoir, de n’importe quel pouvoir.