Publié dans le Théâtre du Blog, 14 mai, 2014
Raki: Mon ami paranoïaque et En attendant la mort de Nino Noskin, mise en scène de Nikson Pitaqaj.
Il était une fois un jeune homme un peu naïf, se berçant de quelques accords de guitare et du sourire de sa douce, silencieuse. Arrive Franki, un copain plus âgé. Un futé, un malin, pas un naïf, celui-là. Il instille à l’oreille du jeune Toni la méfiance du voisin, l’idée qu’il faut pouvoir se défendre, l’image d’une virilité armée : un vrai cadeau, en échange d’une goutte de raki. Ensuite, sur le schéma répétitif d’un conte, la spirale monte, jusqu’à l’anéantissement. Ça pourrait se passer chez nous, aux Etats-Unis, partout où quelqu’un doute de sa virilité, ne se sent « personne » et ne devient « quelqu’un » qu’au moment où il tient une arme. Et la femme ? La femme se tait, ou presque, car, au moindre mot, c’est contre elle que l’arme va se tourner. Lui, l’homme lui montrera « qui il est ».
Mon ami paranoïaque joue sur la construction de la peur et l’escalade de la violence qu’elle entraîne. Une escalade qui n’a rien de gratuit : c’est un marchand d’armes qui parle. La fable est claire, à double échelle, du fait-divers au capitalisme mondial, et elle tire sa force de son économie : pas un mot de trop.
La seconde pièce, En attendant la mort joue sur le poison de la peur. On y voit une famille, serrée comme un fagot dans sa maison, claquant des dents, attendant la venue des soldats. Ami ou ennemi, le soldat est le même : terrifié par la peur qu’il inspire, violent, humiliant… Ainsi, le fils revient de la guerre, et la fête de la victoire devient alors la défaite du lien familial et de l’humanité.
Il n’y a pas d’après-guerre, c’est seulement le couvercle et le déni de la guerre. La réalité à laquelle nous renvoie Nino Noskin, on en a l’écho tous les jours, qu’on le veuille ou non. Ces farces cruelles font pas rire. Si l’on y parvient quand même (plutôt la première que la seconde plus obscure et encore plus sidérante), c’est quand l’homme-machine est pris dans l’engrenage qu’il a monté lui-même, huilé à petits coups de raki…
Dans le très joli studio du théâtre de l’Epée de bois, qu’on arrive à oublier, le spectacle touche par la brutalité de l’écriture et l’efficacité de la mise en scène, malgré un défaut de scénographie. Malgré aussi, le jeu mal réglé d’un acteur qui en fait trop, ce qui signifie (car un acteur n’en fait jamais trop) qu’il déjoue ce qu’il joue. On peut imaginer que c’est par désir de faire rire et par peur d’ennuyer le spectateur : là encore, même si c’est infiniment moins grave que le sujet de la pièce, la peur est mauvaise conseillère…
Christine Friedel, Théâtre du blog